Avocat au barreau du Cameroun, Me Nkongho Felix Agbor, ex-détenu dans le procès des leaders anglophones, apprécie dans cet entretien, le déroulement de l’élection Présidentielle du 7 octobre 2018 dans les régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest Cameroun et l’évolution de la crise sociopolitique dans ces deux régions. Cet activiste constate d’une manière générale le fort taux d’abstention des habitants pendant le scrutin et l’absence des scrutateurs, particulièrement du parti Sdf dans son fief.
Le 7 octobre dernier, s’est déroulé au Cameroun, le scrutin présidentiel. Comment avez-vous apprécié le déroulement de l’élection dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest en proie à une crise socio-politique ?
L’élection s’est déroulée dans une situation très difficile, avec le boycott des populations. Il y avait une forte mobilisation des militaires qui avaient envahi tous les coins. Il ne faut pas oublier qu’il y a beaucoup de personnes qui ont fui ces régions. J’ai fait le tour de près de 10 centres de vote, et j’ai constaté que la plupart des habitants ont boycotté le scrutin. Dans un centre de vote, on avait à peine 5, 4 et voir une personne présente. Ce qui est curieux, c’est que même les scrutateurs étaient absents. Il n’y avait que les scrutateurs du RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais) et du MRC (Mouvement pour la renaissance du Cameroun) qui étaient représentés dans presque tous les centres, mais les autres partis étaient absents. Je me demande comment un candidat peut espérer gagner une élection sans se faire représenter dans un bureau de vote. Même le SDF (Social democratic front) qui est dans son fief n’était pas présent dans tous les centres.
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Certains candidats ont demandé l’annulation de l’élection dans ces deux régions. Etes-vous de cet avis ?
Au vue de la situation, je n’étais pas d’accord pour une organisation de l’élection dans ces deux régions. Il y avait des priorités. Il fallait d’abord trouver des solutions à la crise qui sévit dans ces localités. Il y a plus de 50 mille réfugiés camerounais au Nigeria, plus de 500 mille déplacés internes, au moins mille personnes en détention. Comment on peut avoir une élection crédible et légitime avec tous ces cas ? Je n’ai pas pris connaissance du motif de leurs recours, mais il faut savoir que la Présidentielle ne se déroule pas seulement dans ces deux régions, c’est dans tout le Cameroun. Si les candidats sont rassurés que l’élection n’est pas crédible, c’est leur droit le plus absolu de demander l’annulation. J’en profite pour dire à Election’s Cameroon (Elecam), que c’est un moment important du Cameroun et l’occasion de montrer au monde qu’elle est un organe vraiment indépendant. Le peuple attend beaucoup d’Elecam et cet organe doit être conscient que sa position peut diviser le pays. Quel qu’en soit le vainqueur, qu’il soit de l’opposition ou pas, Elecam doit respecter le choix des Camerounais. On sait que c’est le président qui nomme les membres d’Elecam et de la Cour Constitutionnel, mais il faut respecter le vote du peuple.
Quelle a été votre réaction après la sortie de Maurice Kamto, candidat du Mrc à la Présidentielle, le lendemain du scrutin ?
Le Pr Maurice Kamto a le droit de penser qu’il a gagné. Il dit qu’il a marqué un penalty. En tant qu’avocat, je sais qu’il revient à la cour Constitutionnelle de proclamer les résultats. Mais il ne faut pas ignorer que nous sommes dans un pays un peu compliqué. Issa Tchiroma, (ministre de la Communication) et Paul Atanga Nji, (ministre de l’Administration territoriale), revendiquent le respect de la constitution, alors que ce sont les mêmes qui ne respectent pas la loi. Je ne crois pas que le président du Senat savait qu’il devait tomber malade et voter en France, il y a des choses qui ne sont pas respectées dans ce pays. Ce n’est pas parce que c’est Kamto qu’il faut penser au respect de la loi. Nous avons à faire à un gouvernement qui ne respecte aucune loi. Kamto prépare les Camerounais. C’est clair qu’ils vont voler les résultats. Maintenant ils commencent à propager les discours de haine contre les Bamileké, et ils viendront dire que nous sommes égaux, que tous les Cmerounais doivent se mobiliser pour bâtir le pays. Je suis vraiment choqué par la politique du Cameroun.
Vous étiez présent à la conférence de presse donnée par le Collège des Organisateurs de la Conférence générale Anglophone, est-ce que c’est une preuve de votre soutien à cette initiative ?
Cette conférence est une bonne chose. On doit dialoguer. On a besoin d’un dialogue inclusif. Le pays est en guerre, les enfants ne vont plus à l’école dans le Sud-Ouest et le Nord-Ouest, les habitants ont fui, l’économie a chuté, la population souffre… On doit avoir cette conférence pour trouver des solutions. Personne ne tire aucun avantage de la guerre. Quand on va dans les villes de Douala et Yaoundé, on voit les ressortissants de ces régions qui n’ont même pas un endroit où dormir. Il faut que la communauté internationale, le gouvernement et même ceux qui ont pris les armes, la population camerounaise, la presse, soutiennent cette initiative. Le Président Biya a montré ses limités, il n’est pas prêt à dialoguer. Mais si on tient cette conférence, les Camerounais peuvent influencer certaines décisions. Il y a trop de problème chez les anglophones, mais je pense qu’on peut les résoudre.
En tant leader anglophone, quelles sont vos attentes à l’issue de cette conférence ?
Nous attentons les résolutions et un comité qui peut travailler avec la communauté internationale ou le gouvernement pour trouver une solution à la situation anglophone. On espère qu’il y aura également les leaders anglophones de la diaspora. On peut s’accorder sur la démarche à suivre pour mettre un terme à la situation, créer un bloc pour lutter contre les manquements que nous subissons du gouvernement afin d’améliorer nos relations avec la République du Cameroun, depuis 57 ans aujourd’hui. Ce sont des sujets qui seront abordés et on verra ce qui a changé depuis deux ans que nous avons entamé les revendications, et comment améliorer les conditions des populations de Sud-Ouest et Nord-Ouest. Donc, on verra s’il faut revoir la stratégie pour lutter contre cette dictature.
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Est-ce que vous croyez qu’il y aura réellement une issue de sortie au terme de cette assise ?
Je ne peux pas lire dans la boule de cristal. C’est un long voyage. Mais on doit commencer toujours quelque part. C’est un début, on ne sait jamais. Mais ça va créer un buzz et les gens vont commencer à réfléchir, à trouver une solution. Peut-être après cette conférence, on aura un autre comité. Mais c’est mieux de parler avec nos frères et sœurs d’ailleurs et ceux victimes de la crise pour réfléchir ensemble sur comment trouver une solution. Il ne faut pas penser à une solution immédiate. Si on ne fait rien même l’histoire va nous juger. On nous demandera ce qu’on a fait quand le pays était en guerre, quand les enfants ne partaient pas à l’Ecole, quand les mamans ne partaient pas au marché. On pourra alors dire qu’on a fait des efforts, qu’on a participé à cette conférence. Donc, on attend les résultats de cette rencontre.